Expérimentation du Cannabis à usage médical : où en est-on un an après ?

Le 26 mars 2021 avait lieu en France la première prescription de cannabis à usage médical en présence du ministre de la Santé, Olivier Véran, au CHU de Clermont-Ferrand. Ce moment était la concrétisation de deux ans et demi de réflexion menée par deux comités scientifiques successifs, créés par l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
La pertinence de cette légalisation du cannabis à usage médical avait été préalablement actée non seulement par les autorités sanitaires à partir des données scientifiques internationales disponibles, mais aussi par les autorités politiques. Ces dernières ont signifié leur position lors du vote à l’Assemblée nationale de l’article 43 de la loi N°2019-1446 de financement de la Sécurité sociale pour 2020, porté par Olivier Véran – alors député. En application de cette loi, le décret 2020-1230 du 7 octobre 2020 autorisait une expérimentation relative à l’usage médical du cannabis sous la forme de médicaments, à titre expérimental et pour une durée de deux ans à compter de la prescription au premier patient.

Plus d’un an après, où en est-on de cette expérimentation nationale de politique publique, dont l’objectif principal est de déterminer les conditions d’une légalisation de l’accès aux médicaments à base de cannabis ?

Les patients qui souhaitent être inclus dans ces traitements doivent en faire la demande à leur médecin. Ce dernier peut alors les aider à justifier médicalement leur inclusion au regard de leur pathologie et des traitements déjà prescrits. Cependant, nous pensons que toutes les demandes ne pourraient probablement pas être acceptées, car l’expérimentation qui doit se terminer en mars 2023, ne concerne qu’un nombre limité de patients : elle a été calibrée pour traiter jusqu’à 3 000 malades. À mi-parcours, 1 500 patients ont pu bénéficier de ces traitements et force est de constater que les inclusions sont bien moins nombreuses que nous pouvions l’espérer. Plusieurs explications à cela :

  • Inclure et le stabiliser le traitement pour un patient prend du temps à cause des contraintes imposées par le caractère expérimental de ces prescriptions, qui nécessite une formation obligatoire ainsi que le remplissage d’un registre à chaque consultation.
  • Les centres hospitaliers en général ont été désorganisés par la crise covid et plus particulièrement, les centres de rééducation fonctionnelle « inscrits comme volontaires », qui ont été embolisés par la gestion de suite de réa et n’ont pas le temps nécessaire, malgré des annonces à certains patients d’inclure sur l’indication « spasticité lié à des lésions médullaires »
  • Une certaine prudence voire méfiance envers ces nouveaux traitements, y compris certains médecins de centre formés qui hésitent à prescrire.
  • La contrainte de la formation, du registre de l’expérimentation et la prudence font que les médecins généralistes « traitants » sont très peu nombreux à vouloir prendre le relais des centres spécialisés (douleurs, SEP en particulier). En conséquence, les centres ne pouvant passer le relais, ils sont obligés d’assurer le suivi tous les 28 jours et n’ont plus de créneau horaire pour inclure de nouveaux patients.
  • Certains patients « pressentis » refusent d’entrer dans l’expérimentation devant l’interdiction de conduire ce que ne peuvent se permettre beaucoup les actifs.

L’expérimentation en cours dans notre pays prépare une prochaine légalisation d’accès au cannabis médical et permet d’adapter ce dernier aux spécifications françaises de l’accès aux soins.
Néanmoins, des centaines de médecins travaillant dans plus de 240 structures hospitalières, en métropole et outre-mer, sont d’ores et déjà impliqués dans l’instauration de ces traitements : au total, plus de 1000 professionnels de santé ont déjà été formés à la prescription et dispensation de ces médicaments.
Comment cela se passe-t-il ? Les patients peuvent se voir prescrire des huiles à prendre par voie orale contenant des extraits de fleurs de cannabis. Cette forme représente le traitement de fond prescrit en première intention. Des fleurs séchées de cannabis associées à un dispositif de vaporisation pour inhalation sont parfois associées à ces huiles, pour soulager notamment des épisodes douloureux aigus mal jugulés par le traitement de fond.
Tous ces médicaments sont caractérisés par leur teneur en deux phytocannabinoïdes, les plus fréquemment présents dans les fleurs de cannabis : le CBD ou cannabidiol (substance légèrement psychoactive, sans risque avéré de dépendance, non classée parmi les stupéfiants) et le THC ou tétrahydrocannabinol (substance la plus psychoactive, à l’origine des effets euphorisants et désinhibiteurs, mais aussi des risques de dépendance du cannabis. Elle est classée dans les stupéfiants). Les taux de ces deux substances varient selon les variétés de cannabis.
Comme cela était attendu, et comme pour tous médicaments, certains patients n’ont pas présenté d’amélioration significative de leurs symptômes. Chez d’autres, le traitement a parfois dû être arrêté en raison de l’apparition d’effets indésirables bien connus, majoritairement d’ordre neurologique (somnolence), psychiatrique (anxiété), cardio-vasculaire (palpitations) ou digestif (diarrhée). Au final, ce sont un quart des patients traités qui ont arrêté leur traitement.
A souligner qu’à l’ANSM, certaines modalités de l’expérimentation sont régulièrement réinterrogées de façon à répondre au plus près aux besoins des patients et des professionnels de santé, en concertation avec eux. Un comité de suivi Pharmacovigilance et addictions a été créé, dont APAISER S&C fait également partie afin de suivre au plus près les cas de mésusage et d’addiction. A ce jour, aucun cas n’est relevé.

Une filière française de production de ces médicaments :

Un point important consistera à établir une filière française de production de ces médicaments. En France, le décret 2022-194 du 17 février 2022, entré en vigueur le 1er mars, autorise désormais la culture de cannabis à usage médical. En pratique, un premier arrêté sera publié pour préciser les conditions légales de cette culture. Elle relèvera de règles différentes de celle du chanvre en plein champ, du fait de la présence dans les variétés concernées de THC, substance classée stupéfiant.
En parallèle de l’expérimentation actuelle, l’ANSM a aussi installé un nouveau comité scientifique temporaire, dénommé « Culture en France du cannabis à usage médical – spécifications techniques de la chaîne de production allant de la plante au médicament ». Ce comité définira les spécifications attendues pour les médicaments à base de cannabis qui seront produits par une future filière de production française, de la graine au médicament.
Dans les années à venir, le travail de recherche devra se poursuivre : ces thérapeutiques à base de cannabis, bien que disponibles dans certains pays depuis plus de vingt ans, sont encore expérimentales et nécessiteront donc des connaissances complémentaires pour mieux préciser leurs indications, les profils de patients concernés et les compositions des produits. La formation des professionnels de santé sera aussi l’un des enjeux majeurs.
Enfin, le remboursement par l’Assurance maladie de ces médicaments à base de cannabis fera aussi partie des questions cruciales à traiter avant toute généralisation, car cela en conditionnera bien évidemment l’accessibilité. L’opinion publique semble quant à elle prête à l’arrivée de ces nouveaux traitements : un sondage réalisé en janvier 2022 par l’IFOP rapportait que plus des deux tiers des Français (70 %) sont favorables à la légalisation de l’usage du cannabis à titre thérapeutique.

Et le CBD en boutique ?

Souvent, les patients nous disent se soigner avec du CBD acheté en boutique. Actuellement, il n’y a aucune législation pouvant contraindre ces boutiques à justifier la teneur des huiles vendues (à part l’interdiction de contenir plus de 0,3% de THC), ce qui fait que le marché est saturé de propositions de produits aux compositions non vérifiées et sans adéquation avec les indications de l’étiquette du flacon : produit venant de l’Europe de l’Est sans aucune traçabilité, passant pas la Suisse pour avoir une image de sérieux. Un laboratoire a pu établir que la grande majorité de ces produits ne contenaient pas le % de CBD annoncé.
Le CBD n’est pas un stupéfiant mais néanmoins c’est une molécule active qui doit être utilisée avec précaution par certains patients. Mais ce CBD, bien en deçà des doses préconisées dans l’expérimentation de l’ANSM, semble apporter une meilleure qualité de sommeil et une forme de détente à certains patients. Aussi, pour être assuré de la qualité, nous recommandons aux patients qui nous interroge de s’adresser aux quelques agriculteurs français se mobilisant pour des produits de qualité et faisant expertiser leurs huiles dans des laboratoires sérieux.

 

Par Mado Gilanton, Présidente de l’association Apaiser la syringomyélie et le Chiari